Glossaire

par Eric Degoutte - Directeur du Centre d'Art de Chelles

C’est un outil de passage qui opère un lien entre un mot isolé et d’autres mots seconds, plus nombreux qui orientent le lecteur dans l’appropriation du premier. Il est un peu de l’ordre d’une traduction.
L’exercice de la traduction est délicat : entre traduction littérale ou traduction littéraire, entre mécanique stricte de retranscription et nature interprétative de la traduction se dessine un paysage particulier de la traductologie (puisque tel est le terme). Cette dualité peut s’exprimer à travers une méthode pratique et didactique, inscrite dans le cadre traditionnel de la phrase, recensant des procédés (comme la transposition morphologique des mots).
Avec des moyens informatiques, cette mécanique des mots s’opère en ligne, facilement :

Un exemple :
Un texte anglais : « Welcome to the Visual Thesaurus, an interactive tool that allows you to discover the connections between words in a visually captivating display. Word maps let you search for just the right word and then explore related concepts, revealing the way words and meanings relate to each other »

Et sa traduction automatique en ligne (transposition morphologique des mots) : « Bienvenu au Thesaurus Visuel, un outil interactif qui vous permet de découvrir les rapports (connexions) entre des mots dans un affichage (une présentation) visuellement captivant. Les cartes de mot vous laissent chercher juste le mot juste et explorer ensuite des concepts liés, révélant la voie que les mots et des significations touchent l'un à l'autre. »

Ce résultat montre à la fois la puissance et les limites de l’exercice des rapprochements formels et/ou lexicographiques : le sens global apparaît spontanément mais, il est là, fragilisé par un doublon perturbateur dans la linéarité de la lecture ( just et right étant traduits tous les deux par un même mot juste). Avec d’autres moyens informatiques, les recherches sur les alignements de corpus développent cette approche dans une perspective terminologique. C’est juste ce que propose the Visual Thesaurus dans des cartographies des proximités formelles.

Mais cette dualité de la traduction peut aussi s’exprimer à travers une approche plus littéraire, poétique (ou philosophique) qui va devoir problématiser notamment les concepts de réécriture, de passage, de genre et de corpus.
Elle se travaille donc alors à plusieurs niveaux (l’intratextuel, l’intertextuel, paliers de morphisme, etc.) dans une intention de juste équilibre entre les formes langagières (être dans l’esprit du texte originel, être dans la forme ou lastylistique de l’écriture).

Les termes du glossaire de l’exposition Points d’intentions de Melik Ohanian sont des termes anglais. Ils posent donc la nécessité d’une traduction double : celle première du rapprochement entre terme anglais et français et le prolongement de la définition.

L’histoire de ces deux langues est faite d’entrecroisements de vocabulaire, notamment en lien avec l’impact des prédominances historiques successives d’une langue sur l’autre, prédominances liées aux équilibres changeant entre ces deux cultures, ces deux pouvoirs politiques et économiques qui les qualifient. Cet entremêlement s’exprime visuellement dans la ressemblance immédiate entre les termes (movement/mouvement par exemple). Il fait émerger des « airs de familles » entre eux, qui, pour autant, ne les empêche pas d’être parfois, et aussi, de « faux amis ».

enactment

Si une traduction immédiate nous amène aux mots de « promulgation », de « représentation », dans son usage anglo-saxon, elle recouvre aussi l’idée d’une intention formulée, d’un propos porteur des germes d’une mise en oeuvre effective, à la limite du performatif, de ce qui se produit. Un temps 0 L’intention de Melik Ohanian est de travailler l’exposition dans un principe de renouvellement constant exprimé dans un déplacement de son contenu et de sa forme. Chaque jour, elle varie, selon un calendrier composé de sept temps. Ces oeuvres vont apparaître, se déplacer et/ou se déployer, dans les espaces d’exposition ou à l’extérieur du centre d’art, puis disparaître, remplacées par d’autres qui suivront le même principe. Cette intention est l’expression d’une permanence reconnue de ce qui fait chez Melik Ohanian, enactment. Cette permanence, cette vigilance favorise l’acte d’engagement dont il est porteur. Au fil de ces oeuvres ( (T)Here, Concret tears, Selected Recording par exemple) ou au fil de ce qui fait exposition (From The Voice to the Hand réalisée en 2008 simultanément dans quinze lieux d’art contemporain en Île-de- France) et de ce qui fait travail artistique ({display:none;} qui réactive l’idée d’atelier, de studiolo), Melik Ohanian renouvèle le rapport à l’oeuvre, à ce qui fait production de l’artistique en interrogeant tous les outils d’usage (le temps de l’exposition, sa forme, le temps de sa perception, la singularité de sa découverte et de la rencontre) qui deviennent alors de potentiels outils de déplacement, les véhicules de sa pensée artistique.

encampment

L'expédition imaginaire programmée pour Points d'intentions est un des sept temps de l'exposition (Time 03). C'est une forme dérivée du projet {display:none;} développé par Melik Ohanian depuis plusieurs mois avec des étudiants d'écoles d'art invités à venir arpenter ses propres archives en préparation à un projet d'édition monographique. Dans les églises, un réel bivouac, matérialisé par l'installation de tentes, va permettre d'accueillir cette petite équipe qui va travailler, dormir, quasiment en autarcie. Durant sept jours, ils seront tous orientés à explorer le « monde » de l'artiste, ce qui constitue son espace singulier, l'aire de ses réflexions, dans une contraction de temps et d'espace, dans un entremêlement du point de départ et du but du voyage. Cette condensation puise son origine dans l'enactement de Melik Ohanian, tel un point 0. Elle ouvre les conditions de mobilités, de migrations qu'il véhicule, qu'il met en œuvre dans chacun de ses projets. Galaxie d'idées et de réalisations, d'intentions et de propos, l'encampment joue donc l'attraction pour mieux planifier la dilatation. Si rien ne sera visible pour le visiteur dans cette Time 03, si rien ne sera alors apparent ou affiché (clin d'œil au terme « display none » du langage HTML qui suspend l'affichage d'un élément pourtant présent dans la programmation informatique) des projets se constitueront et prendront corps lors de la Time 07.

movement

Le mouvement est la manifestation d'un déplacement. Il suppose la présence de véhicules (un objet roulant par exemple, mais ce peut-être aussi le corps) qui oeuvrent, travaillent (à) la mobilité, pris dans une tension entre un point de départ (encampment) et une force (enactment). Le mouvement se réalise dans une relation très étroite à ce qui lui fait résistance : si celle-ci prédomine, il est endigué, limité. Mais s'il n'y a aucune résistance, le mouvement s'exprime dans une dérive irrémédiable, un voyage sans contrôle ou plutôt sans aucune conduite. Il s'agit bien alors d'élaborer un déroulement en se gardant du trop comme du rien dans la limite de persistance des éléments constitutifs du mouvement et du déplacement (force et résistance). Melik Ohanian parle de ces oeuvres comme des instruments de mesure, des sortes de boussoles confirmant cette vigilance du conducteur qui est la sienne à donner à voir, ressentir, éprouver ce qui est parcours, itinéraire, cheminement et donc déplacement.

measurement device

Les instruments de mesure (cartes, montres, instantanés photographiques ou images en mouvements, pixels) que convoque Melik Ohanian sont autant de véhicules mesurants. Il y a dans le langage anglais, un aspect indéfini au coeur du terme « devise » qui nécessite en français le recours, l'usage de plusieurs termes pour l'aborder, l'approcher : autant « outil », « instrument » , « appareil » que « dispositif » ou « moyen ». Ces termes pouvant s'ajuster au regard d'une matérialité (un objet) qu'au regard d'une immatérialité (une pensée, une intention). Cette part d'indécidabilité (qui fait figure d'une absence) s'opère cependant en relation avec la notion de mobilité qu'elle recouvre (qui fait figure d'une présence). Les « devices » sont des objets porteurs de principe, des choses faites ou adaptées à des usages particuliers. Ce sont des « véhicules » (à l'image de ce que sont nos actuels smartphones, tablettes ou portables, objets d'un nomadisme connecté contemporain, ils transportent du contenu et télé-transportent l'usager dans d'autres espaces de temps ou géographiques) et des outils ou des instruments (ils produisent). Pour autant, l'outil, l'instrument ne font pas le sens. Ce sont leurs usages qui le font naître. La manière dont on les conduit. En bon véhicule.

duration

La durée, le temps requis, sont au coeur de Points d'intentions. Ils se montrent à travers une Time Line constitutive d'une suite de présences (une quinzaine d'œuvres) réparties sur la longueur de l'exposition. Chaque présence ouvrant elle-même, dans un jeu supplémentaire de déclinaison et de déploiement dans les espaces d'expositions de ses formes (Return for Memory, (T)Here, Concret Tears, You are mY destinY, Territory of No Event, Days, etc.) une mouvance continue qui se ressent dans la durée. Cette Time Line est une ligne des temps à l'image de celles qui ornent un banc de montage vidéo où le travail sur une séquence s'effectue par le déplacement d'un curseur qui vient perpendiculairement couper l'étirement horizontal des images juxtaposées. Cette verticalité permet la découpe, le retrait, l'ajout, la clôture autant que l'articulation. Elle est comme un travelling virtuel, la matérialisation du déplacement du regard de l'artiste sur l'ordonnancement des éléments de son propos. La durée est aussi le facteur et le produit de l'expérience. Ici, celle de l'artiste qui réinvestie dans cette exposition des oeuvres produites préalablement, qui en éprouve leur disposition à s'inscrire dans le prolongement des intentions premières et qui envisage, à travers une expédition imaginaire au coeur deséglises, celles par lesquelles seront produites de nouvelles pièces. Maintenant, celle du visiteur qui en éprouvera l'expression de son unicité (chaque jour les présences en oeuvre ne sont pas les mêmes, chaque jour l'exposition est différente), comme l'entremêlement d'un temps 0 et d'un point 0, l'extraction d'un instant singulier. La durée est figure de permanence, de continuité, de mouvement, de déplacement.

migration

Cette exposition est le support de migrations. Celles des oeuvres de l’artiste : de la Chapelle Picasso du Musée de Vallauris, des collections et ou des réserves qui les abritent aux salles d’exposition du centre d’art. Mais aussi celles perceptibles dans le temps de l’exposition qui vont jouer du déplacement, du déploiement, de l’apparition et de la disparition de ces oeuvres. La migration est épreuve du déplacement, d’une mobilité d'éléments pris dans une tension entre un point de départ (encampment) et une force (enactment). Les oeuvres exposées gardent l'histoire de leurs états de présence (quelques marques parfois subsistent, nées des modalités de leurs présentations ou des vicissitudes de leurs stockages). La migration interroge donc la notion de présence dans cette exposition car elle crée les conditions de sa perception : si l'oeuvre existe dans sa factualité, elle est aussi dans le regard qui se porte sur elle. Dans l'enactment qui génère sa rencontre.

diary

Sa traduction renvoie autant à l’ordre du « journal » (intime ou pas) qu’à celui du « carnet de note ». Ces objets mobiles, ces « véhicules » recouvrent une dimension factuelle, dans une optique de diffusion autant que de recueil. Ils sont le support de l’apparition et de la gestion de l’archive, de son enregistrement et de son usage. Ils sont à la fois unicité et fragment. Durée et Temporalité. Des éléments composites. Leurs « parcours » s’opèrent dans la segmentation des temps (celui de l’inscription dans leurs pages) et des espaces (chacune de leurs pages est un feuillet). Le lien qui s’opère entre chaque segment est de l’ordre de la (re)lecture qui vient donner corps à ce qui ne s’affiche pas (la linéarité) mais qui fait présence entre deux dates ou deux pages (le continuum). Le journal, le carnet est apparenté au {display:none;} chez Melik Ohanian. Chaque visiteur, dans l’unicité de sa rencontre avec le travail de l’artiste est dans un rapport singulier aux faits et aux formes de l’exposition. En état de présence(s).